Du point de vu scientifique, l’Homme est une espèce animale. Pourtant, que ce soit dans le vocabulaire commun (on utilise bien le terme englobant « les animaux ») ou dans notre conception plus philosophique de notre place dans le monde, nous n’avons de cesse de nous distinguer d’eux. De quoi faire retourner Darwin dans sa tombe, lui qui n’a eu de cesse de nous rappeler que l’Homme est avant tout un singe qui a quelque peu évolué. L’Homme, un singe comme les autres ? Un animal comme les autres ?
Oui, certes. Mais non. Enfin, pas seulement. Dire que l’Homme est un animal, c’est surtout scientifiquement factuel. Comme le dit le zoologiste Guillaume Lecointre, au fond, « dire que l’humain est un hominidé, un singe, un primate, un mammifère, un vertébré, un animal ne devrait en principe susciter ni fierté ni humiliation : c’est parler de classification scientifique du vivant. »
Mais la question qui nous intéresse ici est inverse. L’animal, cet être vivant que l’on relègue sans cesse à la sauvagerie, au seul instinct et à l’absence d’émotions, n’est-il pas bien plus que cela ? Rappelons que, dans les sociétés primitives, les animaux étaient souvent sacrés. Dans l’Egypte antique, les dieux zoomorphes (qui ont l’apparence d’animaux) sont chose courante. Pensons en effet à ce cher Anubis et sa tête de chacal ou encore à la momification des animaux, censée être un don aux divinités zoomorphes !
Repenser la place des animaux, repenser leurs droits
Aujourd’hui, alors que d’après l’association L214, 1380 milliards d’animaux ont été tués en 2018 dans le monde pour la seule alimentation humaine, la place que nous donnons aux animaux dans notre société anime les débats et évolue sensiblement. Dès 1992, le droit international définit, à travers la Convention sur la Diversité Biologique, la biodiversité comme un patrimoine commun de l’humanité. En 1997, le traité d’Amsterdam enjoint aux Etats de prendre en compte le respect des animaux en tant que créatures douées de sensibilité. Dans son décompte annuel des animaux abattus, L214 parle ainsi « d’êtres sensibles tués ». Dans son livre intitulé “Autobiographie d’un Poulpe”, Vinciane Despret démontre, dans un mélange de références scientifiques et de récits fictifs et poétiques, que les animaux sont des êtres sensibles, qui pensent, échangent et apprennent… comme nous. Que se passerait-il si l’on donnait la parole à une araignée, fatiguée d’être dérangée par le bruit de nos appareils électroménagers ? Ainsi, poursuivant cette expérience de pensée : si l’animal est doué de ces caractéristiques que nous trouvons très « humaines », la voie logique serait de lui garantir des droits – comme nous !
Une révolution est-elle en cours ? Dans de nombreux pays, les choses bougent. En 2017, l’Espagne a ainsi été le premier pays à reconnaître des droits aux singes en adhérant au Projet grand singe (GAP). Cette organisation appelle depuis 1993 à ce que l’on protège les grands singes (chimpanzé, bonobo, gorille et orang-outan) car ils font partie d’une « communauté d’égaux » incluant les êtres humains. C’est une révolution : ce groupe de chercheurs demande qu’on reconnaisse à ces singes le droit à la vie, que leur liberté individuelle soit protégée et que l’on interdise qu’ils soient victimes de torture, conçue comme une action délibérée visant à causer de la souffrance.
En Suisse, la loi interdit désormais de plonger les homards vivants dans l’eau bouillante, gastronomie ou pas ! En Californie, le gavage des oiseaux est interdit. En France, alors que l’animal a longtemps été considéré comme un bien mobilier, ça bouge aussi ! Dans le Code civil de Napoléon, l’animal a une valeur patrimoniale, autrement dit ni plus ni moins de droits qu’une commode… En 1976, la « loi relative à la protection de la nature reconnaît la sensibilité des animaux. Ce fut un tournant majeur. Et en 2021, la loi visant à « lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les Hommes » adopte toute une batterie de mesures pour repenser notre relation aux animaux. Elle renforce les sanctions encourues pour maltraitance ou en cas d’abandon d’animaux domestiques, adopte un calendrier d’interdiction des animaux sauvages dans les cirques itinérants et les delphinariums, et met fin à l’élevage de différents animaux pour leur fourrure.
Partout le débat fait rage, opposant souvent deux visions du monde. D’un côté, une ambition humaniste, qui affirme son engagement en faveur de la protection des animaux mais place l’humain et l’animal a deux échelles distinctes. De l’autre, la vision du mouvement « antispéciste » initié par Peter Singer (1975), réfutant la distinction entre humain et animal, et défendant, avec les partisans de l’« écologie profonde », une véritable égalité de droit entre les Hommes et les animaux – et ainsi faire de l’animal un Homme pleinement comme les autres.