Vous frissonnez : vous voilà arrivés au rayon surgelé de votre supermarché préféré. Devant vous, c’est un véritable potager polaire : carottes, épinards, haricots, mais aussi framboises, myrtilles, cerises… Vous êtes bien décidés, comme 74% des foyers français, à vous laisser tenter par quelques-uns de ces fruits et légumes surgelés.
Et pour cause, en cette rentrée, vous avez pris une bonne résolution : profitez davantage de tout ce que les fruits et légumes ont de bon à offrir. Vous savez depuis votre enfance qu’ils sont bons pour la santé (ne font-ils pas grandir et ne rendent-ils pas fort comme Popeye ?). Et vous avez appris (en lisant Culture Green) qu’ils sont aussi bons pour alléger votre bilan carbone : en moyenne, les fruits et légumes émettent moins de CO2 et consomment moins d’eau que les produits animaux.
Vous tendez donc la main pour “cueillir” sur les étagères réfrigérées les heureux élus, quand tout à coup, un doute vous assaille. Etes-vous bien au bon endroit ? En entrant dans le supermarché, vous êtes aussi passés devant les fruits et légumes frais des étals, puis vous avez contourné le rayon des conserves, lui aussi bien doté en la matière. Avez-vous eu tort de ne pas vous y arrêter ? Car vous ne voulez pas juste ce qui est bon, pour vous et la planète, mais ce qu’il y a de meilleur !
Frais, surgelés, en conserve ou en bocaux : qui est le meilleur pour la planète ?
Les fruits et légumes frais occupent clairement le haut du panier. Logique, contrairement aux surgelés ou aux conserves, le mode de conservation n’implique pas d’émissions de gaz à effet de serre supplémentaires par rapport aux phases de production et de transport. Le vrai match (écologique) se joue donc entre les surgelés, les bocaux en verre et les conserves.
Et le gagnant est... roulements de tambour... la boîte de conserve ! Ce mode de conservation émet en effet plus de 4 fois moins de gaz à effet de serre que les bocaux en verre, et plus de deux fois moins que la surgélation. Pour 1kg de produits alimentaires, la boîte de conserve représente 100 grammes de CO2 émis. La production de l'acier d'une boîte de conserve compte pour 55% de ces émissions de gaz à effet de serre. Pour 1kg de denrées en bocal de verre, ce sont 480 grammes de CO2 émis. En effet, pour créer du verre, il faut faire entrer du sable en fusion à plus de 1 300 degrés. Ce processus requiert une quantité très importante d’énergie.
Enfin, pour 1kg de légumes surgelés, ce sont 260 grammes de CO2 qui sont émis, essentiellement en raison de l'énergie dépensée pour générer le froid nécessaire à la surgélation des aliments. En plus, les congélateurs, comme les autres équipements de froid que sont les réfrigérateurs et les climatiseurs, contiennent des gaz fluorés, notamment le HFC. Or, s’ils ne sont pas récupérés et détruits lorsque les congélateurs et réfrigérateurs ne sont plus utilisés, ces puissants gaz à effet de serre s’échappent dans l’atmosphère et contribuent très fortement au dérèglement climatique : 1 kg de HFC relâché a le même impact que 1 300 kg de CO2 ou qu’un trajet de 10 000 km en voiture. L’Union européenne a donc décidé l’interdiction totale de leur utilisation d’ici 2050. Pour ces gaz, les carottes sont (bientôt) cuites. En attendant, le traitement des équipements de froid en fin de vie doit être une priorité. C’est pour cette raison que Veolia a créé, à Angers, la plus grosse usine européenne de recyclage de vieux réfrigérateurs et congélateurs. Près de cent dix réfrigérateurs à l’heure peuvent être traités, avec aspiration et destruction des gaz fluorés à la clé.
L’autre avantage des boîtes de conserve par rapport au surgelé, c’est leur recyclabilité. Souvenez-vous, nous avions longuement comparé l’impact de la production et du recyclage du plastique, du verre et du métal dans le quiz “Canette ou bouteille : quel impact pour la planète ?”. Voici tout de même un bref rappel, pour les petits nouveaux ou les plus distraits d’entre nous. L’acier est recyclable à 100% et à l’infini, sans altération de la qualité initiale de la matière. Le recyclage d’une boîte de conserve permet donc d’économiser beaucoup de l’énergie consommée pour la fabriquer (de 75% à 95%). Le recyclage de l’aluminium des boîtes de conserve est aussi nécessaire pour limiter l’extraction de la roche qui sert à le produire, la bauxite. Celle-ci provient de grandes mines à ciel ouvert situées principalement en Amérique centrale, en Afrique et en Australie, qui participent à l’érosion des sols, au déplacement des populations et à la destruction de la faune et de la flore.Si le verre est aussi recyclable à 100% et indéfiniment, le processus est plus complexe (les étiquettes et la colle doivent être retirées) et plus énergivore puisque la matière doit de nouveau être fondue à haute température. Le plastique de la plupart des aliments surgelés, lui, ne se recycle pas encore.
Des surgelés surcotés ?
Ces révélations sur les surgelés vous ont refroidi ? On vous comprend. Toutefois, ne les boutez pas tout de suite hors de vos congélateurs. Car les fruits et légumes surgelés ont encore quelques atouts dans leur manche. Et certains ne comptent pas pour des prunes !
À commencer par leurs qualités nutritionnelles. Sur ce plan, ils tiennent la dragée haute à leurs homologues frais. En effet, les vitamines contenues dans les fruits et légumes se dégradent très rapidement à l’air libre ou au réfrigérateur. Or, à moins de disposer de son propre potager, quelques jours s’écoulent du champ à votre assiette. En une semaine au réfrigérateur, un brocoli a perdu toutes ses vitamines. En revanche, moins de cinq heures se sont passées en moyenne entre la cueillette d’un légume et la surgélation. Une grande partie des vitamines est ainsi conservée. Et ce, jusqu’à six mois dans votre congélateur. Du côté des conserves, le bilan est mi-figue mi-raisin. Le processus nécessite que les fruits et légumes soient chauffés à près de 130°... ce qui ne réussit pas très bien aux vitamines C des épinards ou des petits pois par exemple. Les conserves font cependant bien mieux pour la préservation de certains antioxydants.
Un autre avantage des fruits et légumes surgelés, comme des conserves d’ailleurs, c’est qu’ils peuvent se conserver (logique me direz-vous) plus longtemps. Ils permettent ainsi de limiter le gaspillage alimentaire. Et ce n’est pas un sujet à la noix, bien au contraire. En 2022, plus d'un milliard de repas ont été gaspillés par jour. Cela représente près de 20% de la production alimentaire destinée à la consommation humaine. Ce gaspillage a généré 8 à 10 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit cinq fois celles du secteur de l'aviation...
Enfin, dernier avantage et non des moindres, les fruits et légumes surgelés permettent de manger local et de saison... à n’importe quelle saison ! Si, si, on ne vous raconte pas de salades ! Sachez déjà que les fruits et légumes frais mais produits hors saison ou à l’autre bout du monde sont très indigestes pour la planète. Une tomate produite en hiver, sous une serre chauffée, émet sept fois plus de gaz à effet de serre que lorsqu’elle est cultivée à la bonne saison. Des haricots verts qui ont voyagé en avion pour arriver dans nos assiettes émettent 32 fois plus de gaz à effet de serre par rapport à une production locale.
Pourtant, même si les légumes d’hiver sont excellents (carottes, pommes de terre, choux...), il nous arrive tous d’avoir envie de nous lancer dans la préparation d’un clafoutis aux cerises en plein hiver ou d’être pris de l’envie de regoûter à l’été en novembre avec un gratin de courgettes. Eh bien, avec les surgelés, c’est possible sans trop exploser son bilan carbone. Il suffit pour cela de s’assurer que ces aliments, avant d’être surgelés, ont bien été cultivés lors de la saison appropriée, et à proximité. Une simple formalité lorsque votre congélateur déborde des produits de votre potager, mais une autre paire de manches devant les rayons du supermarché.
Des surgelés globe-trotteurs ?
Car ces dernières années, les légumes surgelés et en conserve sont de plus en plus importés. Pas forcément du bout du monde, mais de chez nos voisins. 63% des légumes surgelés viennent de Belgique, 19% d’Espagne, et 6% d’Italie. Un quart des conserves viennent d’Espagne, 24% des Pays-Bas… et même 9% du Kenya. Face à ce constat, l’Etat français a lancé en mars 2023 un « plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes », avec pour objectif de relocaliser une partie de leur production et de leur transformation en France (notamment la surgélation et la mise en conserve). Pour y parvenir, ce plan prévoit de rendre les filières françaises plus compétitives, d’adapter les cultures au dérèglement climatique ou encore de soutenir la consommation de fruits et légumes par les Français. En effet, seuls 42 % des adultes et 23 % des enfants atteignent les fameux « cinq fruits et légumes par jour ».
Morale de l’histoire : pour sauver les légumes français, mangeons-les. Frais et de saison, c’est la meilleure option. En conserve, pour éviter le gâchis. Surgelés, pour les petits plaisirs passagers.